Enfermé, intoxiqué, attaché

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Marqué à vie par son dossier médical

                       Johanne Gingras

Serge Bourassa-Lacombe est homme tenace. Ce résident de Sherbrooke, injustement interné en psychiatrie pendant 57jours, poursuit un combat acharné pour faire triompher la vérité. La sienne et celle de milliers d'autres. Don Quichotte vêtu de rouge, il assaille de son insistance tranquille avocats, médecins, policiers, témoins, acteurs de son histoire, pièces d'échec de son destin tragique. Il porte les stigmates d'un dossier médical qui le condamne systématiquement à passer pour dangereux aux yeux de la société.

La vie de Serge Bourassa- Lacombe a basculé le 11 février 1995, avec un coup de poing sur une table, geste anodin, mais perçu comme agressif par une colocataire en colère qui a cru nécessaire d'appeler les policiers de Sherbrooke. Bourassa-Lacombe a cru bon, après l'altercation avec sa colocataire, d'aller raconter lui-même sa version à la police. On n'a pas voulu l'écouter et on l'a aussitôt envoyé au Centre Hospitalier de Sherbrooke dans un véhicule de patrouille. Toujours sous supervision policière, on l'a mis en cellule d'isolement. On l'y a maintenu 48 heures, lui administrant, contre sa volonté, somnifères et neuroleptiques, avant de le transférer, en prétextant l'installer dans une chambre plus confortable, dans l'aile psychiatrique 4B. Il y est resté 57 jours.

Pendant tout ce temps, Serge Bourassa-Lacombe a été privé de ses droits les plus fondamentaux: liberté, droit à l'information, dignité et intégrité.

"Au départ, au CHUS, on a violé mes droits et ma liberté, on m'a forcé à dormir. On a contrevenu à la Charte québécoise et canadienne des droits et libertés". Au mépris de la Loi sur la protection du malade mental, le Centre Hospitalier a négligé de prendre les mesures nécessaires pour que monsieur Bourassa-Lacombe subisse un examen qui soit autorisé par le tribunal. On l'a gardé en cure fermée contre son gré et sans l'autorisation de la Cour. 

On lui a fait subir des traitements malgré ses protestations, prétextant qu'il avait fait des gestes «agressants» envers le personnel hospitalier: doigt pointé, regard menaçant, claquement de mains. On a déduit que ces comportements présentaient un danger imminent pour sa santé et sa sécurité, de même que pour celles d'autrui.

Ce sont pourtant les traitements administrés qui représentaient un danger pour Serge Bourassa-Lacombe. Une sévère intoxication causée par une trop forte concentration de médicament l'a plongé dans un état de faiblesse, d'hébétude et de fébrilité qui s'est prolongé jusqu'au 14 mars 1995. Devant ses refus répétés de prendre des médicaments, on interrompt brusquement les traitements, le laissant sans aide aucune pour traverser la pénible période de sevrage. On l'a plutôt isolé, le privant de tout contact et de toute activité dans le groupe de psychiatrisés, le menaçant de prolonger sa détention en cure fermée s'il ne prenait pas de médicaments.

Ce pénible parcours s'achève le 12 avril 1995, où Serge Bourassa-Lacombe reçoit son congé définitif. Ce n'est que le 19 avril, sept jours après sa sortie de l'aile psychiatrique, que le juge Louis-Denis Bouchard de la Cour du Québec accordera la requête pour garde en cure fermée. Il aura donc été enfermé près de deux mois sans autorisation de la Cour.

Un dossier comme une plaie

Les déboires de Serge Bourassa-Lacombe ne se sont pas arrêtés là.

Parce que son dossier médical avait été communiqué au personnel soignant, BourassaLacombe a été enfermé de nouveau le 18 juillet 1995: «Je me suis retrouvé dans cette position: entouré de huit policiers de la Communauté urbaine de Montréal au Centre Hospitalier de Verdun, parce qu'un médecin refusait de soigner mes pieds». Selon lui, c'est encore le mot dangereux inscrit à son dossier qui l'a mis dans cette situation. Une décision de la Commission des affaires sociales lui a donné le 

droit d'obtenir son dossier médical après plus de trois années de vaines démarches.

Ce dossier, Serge Bourassa-Lacombe croit fermement qu'on lui en a refusé l'accès pour protéger les médecins impliqués dans cette affaire: «Ce sera à mes avocats et à moi de le prouver en Cour supérieures». En date du 14 avril 1998, une poursuite de 1 888 000$ en dommages et intérêts contre le CUSE (Centre universitaire de santé de l'Estrie) a été. adressée à la Cour supérieure du Québec.

Au cours de l'entrevue, il a tiré de son volumineux sac de voyage un sachet de nourriture pour chien, dont il énumère les qualités nutritives: protéines, matières grasses, glucides, avec la science de celui qui sait exactement de quoi son corps à besoin pour survivre. Il complète le tout par des rations glanées à l'Accueil Bonneau, où vont ceux et celles qui n'ont ni frigo ni toit. Un cours de technique en santé animale, qu'il a suivi avant ses années de déboires, lui aura servi de guide de survie dans la jungle urbaine.

Les dates qu'il énumère comme autant de cailloux blancs sur un parcours torturé, tombent précises, sans erreurs. Cette comptabilité du temps et d'événements, tous plus terribles les uns que les autres: internement, cellules d'isolement, immobilisations forcées, emprisonnement, etc., est exposée sans haine, sans éclats. Peut-être que son témoignage est en partie vrai, en partie équivoque. Peu importe. C'est la nature du personnage, la certitude qu'il a de gagner le combat opiniâtre mené contre des géants qui troublent notre certitude d'avoir raison, quand nous traitons de fou ce type d'individu.